novembre 30, 2006

ha na ca ra ka

un nid d’humain, une langue en puissance


Faudrait voir la yourte un peu comme un nid. Comme un nid d’humain, ou comme une langue en puissance. On est dans la yourte, on peut se mettre à l'aise et faire cuicui, on a asile quelque part, il y a là de quoi se poser un peu pour gazouiller, c'est là dans la yourte qu'on peut se faire une langue d'oiseau, qu'on peut pondre les moche-mots, qu'on peut faire base avec tous les moche-mots, parmi les bouches tordues des exilés.

Yourter la langue de l’homme, ou faire la yourte dans la langue, c'est faire poche avec des mots et des accents. Et faire poche, c’est comme faire bloc, finalement c’est pas autre chose que résister. C'est résister aux dominances de la langue, c'est résister à ce que dit la langue de dominance, la langue de l'homme.

Parce que tous on court le danger d’être assigné dans la langue, d'être assigné par la langue de l’homme. Et l'assignation, qu'on s'en rende compte ou pas, ça te force par des mots à être à des endroits où tu te sens pas. Et c'est dur de faire face et de lutter, quand l'assignation vient des bouches de tout un chacun dans la société, parce que c'est tout un système, il est partout, il est dans la langue de l'homme, celle qu'on apprend à l'école, et la langue de l'homme est parlée par la bouche de tout un chacun dans la société, et c'est avec la même langue que ça pense, dans la tête de tout un chacun, c'est avec la même langue que toutes les assignations circulent entre les bouches, dans les lettres, dans les mails, dans les sites et les blogs, à la radio, à la télé, dans la rue sur les affiches, dans les commissariats, les dispensaires, les préfectures, les bureaux, les partis, les syndicats, les conseils municipaux, les comités d'intérêt de quartier, les quartiers, les résidences, les lotissements, les pavillons, les HLM.

novembre 29, 2006

où vont les malparlants ?

Mais là, de rumeur-en-aboiements, les peuples vont sur les routes. Ils traversent les assassins les hypocrites, les milices les balances, ils vont sur les routes avec leur barda, et il en passe il en circule de la parole. En chemin il s'en casse des gorgées, c'est même la denrée la plus courante, la parole, parce que ça marche et ça marche, mais ça jacte pas mal aussi sur les routes où vont les peuples.

Les peuples vont sur les routes, comme ils ont toujours été, à patte avec tout leur barda, à cheval et en camion, en bateau, en tracteur, en voie ferrée, dans les soutes et en charter aussi... Aujourd’hui c’est bien parce qu'il y a des cassées de peuple, et à grande échelle s'il vous plaît, c'est pour ça qu'il y a tant de monde là sur les routes et sur les bords de routes, aux douanes ou dans les montagnes, dans les granges et les ports autonomes... S'il y a tant de monde comme ça sur les routes, c'est que c'est la mode de faire péter les petits peuples à peine tenable, de les presser de les lessiver puis de les jeter là sur les routes.

Tous les persécutés les affamés... Ces gens ça fait des partants, des fuyants, et en langue de l'homme après ça fait des primo-arrivants, c'est-à-dire que ça fait des parlants toujours, mais des malparlants. Et c'est notamment eux qui poussent, les malparlants, c'est eux qui poussent aux parois du monde-poche, c'est eux qui poussent aux peaux du monde-poche, qui poussent aux frontières du monde fini de la langue de l'homme. C'est là que le monde-poche, cette bonne poche de terre, c'est là qu'elle devient grosse de bruit.

novembre 28, 2006

Sprache, sprache. Mit-stern. Neben-Erde. Ärmer. Offen. Heimatlich.

Langue, langue. Etoile-soeur. Terre-voisine. Plus pauvre. Ouverte. Natale.
Paul Celan

da ta sa wa la

Faudrait yourter la langue de l'homme


Faudrait carrément yourter la langue de l'homme. Parce que cette langue qui nous échoit, celle de la société où d'abord on naît, celle à laquelle après on participe, c’est pas possible qu’elle soit porteuse de tant de dominance !

Faut yourter la langue de l'homme : c'est à dire de là où ça pousse et où ça parle, faut écouter venir, et de là peut-être qu'on entendra la langue d'oiseau, ce qui jacte dans le dos de l'homme, ce qui appel dans la direction d'un foyer. Un foyer des égarés.


Faudrait rameuter le fond de l'humain, le fond d'animaliste humain. C'est à dire qu'il faudrait faire remonter son fond de vivant. Faut ramener le vivant qui s'invente une vie, le vivant qui vit dans le vent qui vient, comme l'animal les animaux ; faut le faire remonter ce fond, c'est dans la parole que ça se passe. Nous autres humains, c'est comme on parle qu'on est, c'est comme on dit qu'on vit.

Pour ça faudrait monter la yourte, la babel en kit, et faudrait aller un temps au chaud dans la yourte, pour se renommer loin de l'homme, à l'abri du vieux monde de l'homme et de son jugement. Faudrait pouvoir se mettre au chaud, où on se renomme à l’abri, tout près du poêle où craque l'étoile, où se profèrent les noms d'oiseaux des rebaptisés.

Le monde-poche craque


Le monde-poche craque mon vieux. Le monde craque de monde, du nombre de monde, du nombre de gens qui croissent et multiplient. Il croissent et multiplient jusqu’à plus soif, pourtant c’est gorge sèche que le monde poche craque. Entre autre il craque de plus en pouvoir de tout ce monde. Mais ça craque surtout de mordantes langues qui enflent. Et là quelque part tout enfle, tout enfle. Et de mal en pis la poche gonfle. Elle fuit la poche à peuple, elle fuit. Les points cèdent à toutes coutures. Les coutures cèdent, sous la traction du nombre de langues, les mordantes en croissance. Les sutures cèdent, les peuplent fuient. De rumeurs en aboiements les peuples fuient. De rumeurs en aboiements, dans le monde de l’homme, les peuples s'en vont sur les routes. Sur les routes du monde de l’homme, ils traversent les assassins, les hypocrites, les milices et les balances.

Ainsi c’est dans les exodes et dans les camps de réfugiés qu'elle se fait, la poche à langue. Et dans les zones de rétention. c'est là que ça gonfle. Bien fait pour la gueule de l'homme, que là sa langue de maître se défigure. Faut un abri, faut une yourte à tout ce monde. Le monde, faut que ça survive, à l’abri des aboiements, des rumeurs, des milices et des balances. Il faut quelque part où ça s’articule, les bonnes vieilles mâchoires de peuples à venir. Faut que ça se réfugie quelque part à l’abri, les bouts naissans de langue, les bourgeons de la langue possible d’un peuple à venir.

Merde à la seule survie, faut de la place aux bouts d’une langue de fond de peuple. Merde à la survie, faut de la place à une langue de fin fond de peuple. Il faut finir avec la survie. Faut que ça se trouve, l'espèce de langue de fin de peuple, la dernière, la langue de bribe, la langue de babel. Mais plutôt que de monter jusqu’à où, en construction gratte-cieliste, en enflement pharaonique, en babel biblique esclavagiste, elle serait comme une langue de fond qui ferait sol, et qu'on dirait comme on arrose un sol, serait de l’herbe, serait des foules, serait des foules de brins de langue. Un tapi de yourte, fertile, un sol polyglottique, tout fondé de sédiments d’accents, tout semé de parlants jargonants, tout taupiné de galeries langagières. Faut cet abri, faut une yourte, histoire d’avoir asile. Faut l'endroit d'où ça peut s'entendre et se jacter, toutes ces mordantes qui parlent. Là quelque chose serait en germe. Là il y aurait du possible.

que dans son habitude une bouche dise


Que dans son habitude une bouche dise, et dise quelque chose (n’importe quoi), du mutique et de l’énigmatique sont de surcroît produits. Mais le plus souvent hélas, c’est un fait qui reste relégué. Manquant de sens, le phénomène incline à la négligence.
Tandis que dans l’habitacle, nommé yourte, le dédoublement de la parole acquiert puissance et lisibilité. La parole s'y scinde en deux forces égales. Egales, c’est-à-dire ici, absolument rivales. En quoi l’endroit lui-même paraîtrait se dédoubler, dans la direction d’une saisissante ressemblance avec autre chose, qui vient miroiter à une dimension différente : l’intérieur d’une tête ; quelque chose, plus précisément, comme une case spéciale, à l’intérieur d’une tête parlante, quelque petite partie à l’image de l’ensemble. La case du mongol intérieur ? Et en effet sur sa lisière, le mongol perçoit les similitudes
– comme des poupées russes, camarade mongol involue – il chemine à travers différentes échelles, toujours identique à lui-même, toujours identique à autre chose.

Tu entres en l’habitacle, et d’abord sa circularité te saisit. Circularité chargée, irrégulière. Pur gondolement qui t’accueille. Il y a là, d’emblée, du sans-dessus-dessous, de l’enveloppement moîte et mou, bien qu’en deçà de ta sensation, tu t’en doutes, un autre ordre puisse régner. Un ordre certainement microscopique et moussu. En attestent les chiffrements montrés-cachés qui occurrent de ça de là. Cela sévit en multitude ici. Cela bégaye notamment dans le sol. Ce sol de yourte t’apparaît d’ailleurs dans un inexplicable rayonnement d’artefact : végétation douteuse, couleurs outrancières, plasticité sans égale. Sol ou image de sol, tu ne peux trancher. Toujours la ressemblance se prolonge en simulacres.


Sur ce tapis simili-biologique, les chiffrements se devinent, tracés-effacés entre les couches de matière feutrée, sous les paquets mousseux, plastiques, dans les épaisseurs, dures où molles, sans limite définie ; ils affleurent parfois comme des égratignures à la surface, laissant entrevoir un réseau serré de fibres irrégulièrement fluorescents ou transparents, quelquefois absolument ternes et opaques. Il est bien certain que ceci n'est pas un langage. Pourquoi alors, parler de chiffrements ? En entrant tu comprends qu’il faut nécessairement enfiler combinaison-fourrure-chapka, et chausser l’oeil de boeuf, afin de dépêtrer tout ça sans faiblir, comme s’éplucherait un kilomètre de linoléum. Instinctivement tu sais que cette tâche nécessite, après ajustement du costume, rectification de ta posture : quatre pattes orteil dressé, l’œil au pied et le pied dans le signe.

Au plus précis maintenant, tu peux saisir en gros plan le réseau filandreux, remonter de connexions en connexions, les voir renchérir d’illisibilité, tu peux les mordre et les attraper par touffes. Mais pris dans les fils et les entrelacs qui soutiennent le revêtement, les chiffrements reculent vers le fond sans fond d'une matière toujours plus sous-jacente. Courage cependant. N’oublie pas qu’à présent c'est toi le mongol, camarade !

De cette posture, aucune honte ne se doit sentir. Car ici, tirer matière et brouter bien animalement sont évidences, comme l’indiquent les pans qui glissent et pivotent en haut sur les parois de la yourte, et s’allument de temps à autre en un battement arythmique. Se distinguent sur ces pans des images en amorce, elles te regardent t’escrimer : germinations ralenties, organes inachevés (ou en cristallisation hâtive), brefs mouvements élongés, dilués les uns dans les autres, fulgurantes jouissances figées (ou répétées mécaniquement), lèvres luisantes et gercées articulant rien, figures sans contours tatouées à flanc de bête, blocs de cris et de semence tremblante, silhouettes accouplées dans l'immondice, ponts de salive durcie, fouilles de bouches mordantes à l’horizontal, dents malveillantes à ras du sol, gorge phonatoirement en travail (qui ne dit mot)… Tout un paysage progestatif donnant corps-signes muets, doublure grotesque de l’Ordre. Démons ?

Voici l'Histoire Camarade ! Elle te regarde sans te voir, et tu continue ta basse tâche. Tu démêles ce qui t'englobe. Tu manges. Ici, combien d’imparlants ont-ils déjà fouillés, comme toi, à quatre pattes dans les tapis de signe ? Combien de pharynx et de larynx ont vus passer la même matière mutique ? Car en cet endroit méconnu, c’est l’autre de la langue qui paraît. Dans la clarté d’une position corporelle, à la faveur de ton vêtement animal, ce qui demeurait inaperçu arrive. Par terre, la dissemblance se forme sous tes yeux, à la lueur de ton haleine. Aucun sens clair ne peut lui être honnêtement assigné. Tu es l’honnêteté même, mongol. Tu manges du visible.

C'est ce qui ne se peut esquiver sous la voûte de la yourte : la sphinge, chair du monde. Devant la sphinge tu te trouves, c’est à sphinger que tu apprends. Qu'est-ce que la sphinge ? Qu’est ce que sphinger ? Que signifie ? Défiant l'ordre plus courageusement qu'il n'y paraît, un peintre officiel t'avait soufflé jadis : Je suis ravin du monde. C’est à peine si tu l’avais cru. Pourtant, tu sais à présent que de bonnes et grandes et obscures raisons animaient sa formule. Ce qu’une bouche comme la tienne fouille au milieu de ce capharnaüm, dans ce tissu d'ordure, n’est-ce pas précisément une autre langue ? N'en est-ce pas une de ravin, celle que tu cherches ? La seule, en tout cas tu le crois, qui tisse entre tout une véritable solidarité, passive et inévitable. N’est ce pas ici la seule communauté qui vaille, celle qui retient toute chose dans les plis et replis de la matière vivante, ingurgitante, régurgitée, imparlante, parlée ?

Va sphinger tant que tu peux, va prendre ta culbute déculturée dans la yourte, La sphinge excède ta forme, toute forme. Mongol, prends ton bain de matière, avec la sphinge dans l’habitacle : poêle de fonte, tapis, fourrures, images-radicelles, sexes-animaux... Soupe sèche où manger, tapi dans les tapis, incrusté dans l’entrelacement, un motif : celui qu’inondent les intervalles, qu’enlace la répétition. Creuse ta langue ! Manges et vois ce que tu manges !
Ici, pour ce motif, toute chose est sphinge de toute chose qui est sphinge d’une autre. Ici tu apprends à sphinger l’existant. Tu apprends à voir, depuis l'endroit où la vie s’énigmatise en Rien-de-Commun. En cessant ici l'usage convenu de tout lieu, tu apprends à Sphinger dans le Rien-de-Commun.
Mais depuis là, communisme. Communisme du comme-ça-peut, ça y va ! D’abord il aura fallu Voir et Manger par la bouche, mais quand Parler reprend, c'est à proférer la découverte au vivant devant soi, aux entrailles de vivant, et ce, dans l’outrecuidance de la machine à vivre, en face, mutique et re-commençante. Langue souterraine. Re-commencement mutique du communisme, dans la yourte.

Tous ceux qui sont, comme toi, des têtes parlantes, ne sont plus dans un comprendre, une fois passés par la yourte.  Tous devenus vivants-sphinx, à quoi bon Comprendre, si c'est à vivre qu'on recommence ? Ils re-commencent, vergogne au vestiaire. Tous sont dans un faire, un acte dans le dedans. Ou moins, moins que cela, presque rien : un événement dans le sentir, un décollement sous les choses, celles d’avant la langue, comme celles d’après. Dans la Yourte, ou Yourte-habitacle, ou habitacle, tous se taisent ensemble et tous parlent à chacun, et chacun à tous. Tous s'énigmatisent, seuls et communistes.