juin 22, 2008

caldo de cabeza, sin agua, sin cabeza



Paupières en fentes bien noires, bien serrées, bave pâteuse en boule molle sèche accumulée, lui, l'soiffard égaré, se garde en gargarité le peu d’humide, le si peu d’humide qui lui reste, de son sécrété si presque sec, de ses humeurs quasi taries, qui font des paquets de sécrétions grégaires, collantes et bien massées aux commissures, que de réserve une dernière vigueur lui fait lécher quand il peut, et ramener roidement vers la gorge cartonnée. Aimerait boire sa propre salive, s'il y en avait plus. S'il y en avait encore, fluide, limpide, de la salive. ça cogne comme jamais, mais faut que ça avance, même dans l'accablant. Dur travail d’assoiffé. Il marche, il continue, il perpétue la cadence, mais c'est pas lui qui va. Un soleil le suit ou le pousse, on peut pas dire. Mais on peut dire que son mouvement à ce moment, c’est ça, c’est ça et c’est peut-être seulement ça, pourtant rien ne se lit sur son visage ébloui, sur cette peau de gueule si plissée, si criblée de tant de sèches bouches, de toutes ces petites bouches pincées, bouches d’asphixe et d’aphone qui rabougrissent sa face.

Finit par manquer d’air mais continue, il a pas le choix, situé dans la déroute, avec la tête cuite en peau tannée, plongée comme ça depuis quand il sait plus, sa gueule crânienne noyée comme ça dans la taisure de la marche à seul, c'est plus si sûr que ça soit encore lui qui soit là où sa tête se tient. Lui, c'est-à-dire un bon moi. Mais ça repart, ça continue encore.

Dans le si vaste espace, celui maintenant qui s'est levé et qui marche là, trace droit tant qu'il peut, au long d’une ligne qu'il conçoit toute droite dans le crânien, et se garde bien de la gargue aride, et se garde bien du rogue de l’aphone, du perdu au désert, à l’erg et au reg du grand désert soufflant, au geste sévère du vent. Tant qu'il peut il s'en garde, il suit toujours bien comme il faut sa ligne branlante qui tient plutôt droit dans l’imaginaire qui lui reste. Quelque chose commence à perdre l’individu dans l’embrouille bien spéciale d’une espèce de toujours-pareil géographique, ça tous les égarés connaissent, mais quand bien même faut pas stopper la sèche marche d’égaré taiseux qui tient lieu du discours. Et d'erg à reg, gercé, suffoqué, à la perte de sa gueule, c’est pas vraiment qu'il se taise en fait, mais qu'ici, pour lui, rien n’est pouvoir-dire.

De sables en pierres, c’est l’aphone, c’est le mutique, partout où il va, partout où il stationne, où il reprend, s'assied, se couche, se lève. Où il foule, où il gratte la terre. Où il rebrousse un peu pour repartir. Où il fait des trous, soulève des pierres. Où il saisit le sable pour frotter la corne des pieds. N'y a plus de visage là, et comme ça au milieu du mutique, le mutique en marche avance dans l’effacé en cours, et d’erg à reg et de reg à erg, le mutique amoindri sa gueule marchant à la déroute, en continu, et plus le désert s’enfonce en désert, plus la déroute fait surface en déroute. Au désert, à la déroute, le mutique marche l'effacement, à la place de la gueule toujours l'effacement gagne, c’est là que ça commence à changer en autique, si l'on peut dire, c’est là d’où mute le mutique. Du mutique à l’autique, un toujours plus mutique en tout cas.

Voilà ce qui se passe : du méconnaissable, ça s'passe sur cette ligne continument semblable, avec toutefois des variantes minimes, ou bien des variantes plus flagrantes, mais tellement cycliques et pareilles, comme d’erg à reg et de reg à erg. C’est bien là qu'il y a encore chose naissante, du moins ça commence de commencer, mais en même temps, pourra jamais dire vraiment quand ça bascule. Et va et vient le corps en déroute, et va et vient le sans-geule marchant, et tapé d'soleil au désert, il va il vient, et d’erg à reg et de reg à erg, dans sa déroute, le corps dégueulé suit la tendance circulaire. Comme sur le cercle invisible qui barre sa figure, comme celui-la dont la boule se perd dans l’indifférent. D'la progression on pourrait dire que ça déserte, que ça déserte oui, d’erg à reg et de reg à erg, la déroute s’enfonce et mute l’homme mutique, et l’homme mutique quitte l’homme, et tout sombre et mute en dedans dans le dehors, grand indifférent. Ça déserte en virant le reconnaissable, et encore ça efface, et toujours plus, et il y a toujours moins de figure. D’erg à reg et de reg à erg, ça mute ça vire oui, mais en quoi, on peut plus dire. Semblable au sable, le silence avance en lui, et varie comme la dune, en immobilité.

juin 18, 2008

On est tous le sphinx de quelqu'un


Là dans la yurt, ça semble une caboche. Igualito, yurt et teste mesme lutte. En yurt il y a place pour le sphinx, bonhomme caboché mixé animal, l’mongol intérieur alliancé volatile, le Jah Klacan chamanant l'idiome, n'parlant pas la lang-de-l'hom mais la langue des choses, la langue du raz d'yurt.

En yurt il y a donc place pour les chiffrements d’sens cachés, graînés dans l'sol végétalisé, il y a place pour ce genre de chiffrements qu'il faut dépêtrer l’œil au pié, l’pié dans la signif, qui faut démêler vec l’orteil, ou même y aller à 4 pattes, tal que l’animal, en bon animaliste, il faut l’tirer, l’brouter bien animalistement, vec la mordante, vec la bouche à l’horizontale, à raz du sol, no pas la bouche phonatoire, no pas seulement la parlante, mais la mordante.

Car c'est bien la mesme bouche qui dit, c’est bien la mesme qui fouille dans les tapis d’signif chiffrée, c’est bien la mesme que celle qui mange la matière, qui fait du mutique et qui fait de l’énigmatique, qui fait du corps par la bouche. C'est bien par cet orifice que sphingeons.

Voyons bien qu'en yurt le bonhomme ne tire point dignité de sa position (4 pattes à manger du signifiant, on fait plus noble) mais de son adresse toute féline et démocratique, de son goût cultivé pour le ravin où tout se rejoint.

Un pintor avait dit jadis, l'avions entendu dire “ j’étions ravin du monde ”, savions pas d’où ça sortait mais l’pintor avait razon, ¿ n'avait-il pas razon de dire cosa pareille ?

Lo que la bouche busque en la yurt, c'est une langue donc, c'est bien une langue de ravin. A ce moment d’la vie parlante, en la sorte de raclement de fond de ravin, tal qu'el pintor avait profitablament énoncé, devons toujours busquer la langue qui ferait tenir notre vie dans notre parole.

En ce râlement palabré ferions, de notre vie, une vie ravinée par les voix d’ravin, une vie ravinée des voix du vrai monde, le monde plus grand que le mond'poche, la grande poche du monde s’écoulant en foule au ravin, s'écoulant au ravin du dire qui fonde ce moi pris dans une langue de l’autre.

Ainsi ce moi, tal que parti à la busque, à la fouille, à la creuse, avec toi mon ami, expatrié, icelui de qui s'inaugure un laïus hautement partagé, un dialogue de sphinx, mysterious speach, d'où la lang-de-l’hom violancée change notre vie parlante, la mute vers autre chose, respond au besoin d'une autre vie parlante, d’une autre langue, bougresse et philosophique, d’une langue creusée ainsi, d’une langue creusante.

Voulons faire de notre vie une énigme, car tu vois bien que leurs vies sont ça, ne sont que ça, des énigmes. Icelles, têtes parlantes, aussi les autres, têtes imparlantes. On est tous le sphinx de quelqu'un. Et quelque part toute chose est la sphinge d’une autre, même à l’autre bout du grand monde, même quand ça n'dit rien d’audible. Entre les choses du grand monde, il y a ceci : tout se relie dans l’énigme.

Même dans le mond'poche, même à la citadelle europe, même en oxy-dent mes salauds, on est au ravin.

Jah Klacan

juin 06, 2008

ma langue va mourir



Ma langue va mourir. On le dit, et sans doute en va-t-il des langues comme des civilisations, des religions. Ma langue va naître puisque j'écris, puisque nous l'écrivons, la parlons. Il faut à cette jeunesse toujours commençante le suppport d'une insondable vieillesse. Qui parle de décadence ? Les moribonds seulement, les muets, les traîtres,les bavards, les impuissants.

La langue naît d'une rupture : Elle n'en peut plus tout à coup d'être au service de ses références, de les nommer, de les refléter. La langue française est naturellement soumise au signifié : elle doit fournir des preuves, détailler des comptes, fixer des règles, donner la représentation. Mais soudain, rupture, et non pas générale, rupture dans une bouche particulière, qui devient le lieu d'origine de la révolution.

En France, la langue commune est tributaire des choses et du pouvoir : elle ne crée pas, elle enregistre. Il faut se désolidariser de cette articulation normale pour que naisse - dans cette langue mienne - la jubilation d'une liberté qui jaillit de la rupture individuelle. Alors, un instant au moins, tout se retourne à partir d'une bouche, et ce n'est plus le monde qui justifie les mots, car les mots l'éclairent.

Il y a dans ce pays un vieux complexe de légitimation : tout doit servir et tout est reconnu par rapport à la place occupée, mais qu'est-ce qu'une reconnaissance qui s'établit en délimitant ? La langue française a pour rôle d'ancrer ces limites, de les naturaliser par la nomination. Elle est aussi la substance du pouvoir. Elle est en soi médiatisante puisque, sous le prétexte de les faire communiquer, elle fige chacun et chaque chose dans sa fonction la plus servile.

Ma langue est morte dans le discours culturel. Ma langue remue son propre cadavre, le tourne, le relève. Ma langue naît dans la langue morte : elle arrache la peau qui trop signifiait, elle agite en l'air ce verbe défait, et le sens lui vient comme vient le souffle sur la nudité...

Cette langue-là n'est plus française dans son français : elle fait du monde son signifiant, et celui-ci modèle toute forme, car la chair se fait verbe pour que les corps soient l'avenir des mots...



Bernard Noël